Le soir tombait avec langueur, et le sable prenait des couleurs orangées avec la lumière qui baissait, tandis que les eaux de la mer se teintaient de noir. C'était un véritable ballet des ombres, peu à peu, elles grignotaient l'espace, dévoraient la rue et les passants, ne laissant plus que leur silhouette informe pour signer leur existence ; progressivement, le monde basculait dans la nuit.
Jun'ichi se délesta de sa harpe et se laissa tomber, assis, sur le sable. La figure rouge, il avait le souffle court. Il ferma quelques instants les yeux et tenta de calmer sa respiration. Il avait beau avoir l'habitude, transporter cette instrument relevait toujours du calvaire. À chaque fois, il savait que ce n'était pas une bonne idée, à chaque fois il se faisait avoir. Et comme toutes les dernières fois, il se promit qu'il ne le ferait plus - parfaitement conscient qu'il ne tiendrait pas cet engagement. Il porta une main à son front, essuya d'un revers de manche la sueur qui s'y était accumulée, puis expira un bon coup. Il aurait tout donné pour une bouteille d'eau, à cet instant précis. Mais il n'avait pris ni de quoi boire, ni argent. Bon, tant pis, il lui restait le tabac. Et la harpe.
En parcourant la plage du regard, il vit qu'il n'y avait quasiment personne. Un tout petit groupe de touristes à l'autre bout, c'était tout. En même temps ce n'était pas vraiment la période pour venir dans ce genre d'endroits, mais ça n'empêchait pas qu'il aimait bien le faire. Il ne venait pas forcément pour être écouté, de toute façon, là, il voulait juste jouer autre part que chez lui. L'air frais, ça faisait du bien à l'inspiration.
En revanche, transporter un instrument qui faisait sa taille, ça ne faisait pas du bien au dos. Il s'encouragea en songeant que c'était le dernier effort à faire, et l'attrapa pour le tirer plus près du bord. Il crut mourir : dans le sable c'était encore pire. Mais une fois fait, il eut au moins la satisfaction de se dire que c'était fini. Jun' laissa échapper un petit ricanement amer. Ce qu'il pouvait être ridicule, par moments.
Il s'agenouilla, l'instrument entre ses jambes, titilla quelques cordes pour voir si tout allait bien. Ses doigts engourdis avaient un peu de mal à suivre le mouvement, mais ils allaient se réchauffer avec l'exercice. Au bout de quelques minutes, il resserra les pans de son long gilet de laine, se racla la gorge, et entama une véritable mélodie.
C'était l'un des premiers morceaux qu'il avait appris, quelque chose de calme sans tomber dans la tristesse. Quoique l'humeur du morceau variait considérablement, à certains passages, allant vers quelque chose de plus rapide, plus enjoué. Il n'avait pas envie de larmes aujourd'hui, c'était là le plus important. Puis, après que les notes se fussent élevées avec joie, on retombait dans cette lente douceur. Ses mains allaient et venaient seules, maintenant, il n'avait même plus besoin de regarder pour le jouer, et cela constituait en soi une véritable satisfaction. Il pouvait, dorénavant, fermer les yeux et écouter les voix des cordes s'élever pour accompagner le roulis des vagues et les murmures de la ville. Il fredonnait, un peu par instinct, et surtout pour ne pas perdre le fil de la mélodie, de peur de troubler la confiance qui s'était installée en lui.
made by great thief.