Il faisait soleil, on entendait les oiseaux chanter, les gens rire. C'était une belle journée, aujourd'hui. Jusqu'à ce que ta petite tête voit la lumière du jour pour la première fois. Contrairement à ce qu'on voit habituellement, tes parents n'avaient pas envie de te voir. Ils n'avaient pas envie que tu sois là, en vie, en train de leur casser les oreilles avec tes cris stridents. Pas envie de devoir s'occuper de toi, t'élever. Ils ne voulaient pas mettre leur vie de côté pour t'en donner une à toi. De toute façon, tu n'étais pas prévue. Tu n'étais qu'un bête accident, pas vrai? Et un accident, on n'aime pas ça. Tu as continué de pleurer, pleurer, crier, chigner pendant des minutes qui semblaient interminables. Ta mère ne te prenait pas, ton père non plus. Personne ne voulait te toucher. Tu étais comme une bactérie qu'on a peur d'attraper. Puis une infirmière t'as prise. T'as cajolée et murmuré des mots doux. T'as dis que si personne n'allait t'aimer, elle le ferait. Du coin de l'oeil, ta mère avait tout vu. L'espoir s'était repointé au fond de son regard malsain. Si elle trouvait quelqu'un pour s'occuper de toi, elle n'aurait pas à le faire. Un peu plus tard, alors qu'on l'avait enfin débarrassée de toi pour t'emmener à la pouponnerie, elle est allée aborder l'infirmière. Yui. Elle lui a offert un salaire qui aurait fait rêver n'importe quel ouvrier pour que tu deviennes sa nounou. Si elle ne le faisait pas, ta mère te laisserait probablement mourir par terre dans le salon. La gentille Yui a acceptée et dès le lendemain, s'est installée chez vous. C'était bien plus que ta nounou. C'était ta mère.


En grandissant, tu es devenue une partie de ce que tu es aujourd'hui. Il ne t'a pas fallu bien longtemps avant de comprendre que tes parents n'avaient jamais et ne voudraient jamais de toi. Tu rentrais de l'école et ils t'adressaient à peine un 'bonjour'. Pas de sourire, pas de 'salut ma puce, comment a été ta journée?'. Rien de tout ça. Tu entrais, enlevais tes chaussures, laissais ton sac tomber et tu entendais ta mère te crier au loin d'étudier plus. Encore plus. Tu devais être la première de classe, la plus futée. Tu devais te fondre dans la masse, ne pas trop te faire remarquer si ce n'était que pour ton intelligence. Tes parents ne voulaient pas t'élever, ils voulaient te modeler comme de l'argile. Faire de toi quelque chose qui rapporterait de l'argent. Faire de l'accident de leur vie quelque chose qui en valait le coup. Tu le savais, tout ça. Ça t'as blessée un moment, mais dès qu'une larme dévalait sur ta joue, Yui arrivait pour l'essuyer. Elle était ta confidente, celle qui t'encourageais à être ce que tu voulais être. Mais à ce moment là, tu n'en avais pas la force. Et tu ne savais pas trop ce que tu voulais faire de toute manière. S'en aller, mais ou? Pour faire quoi?


Puis un jour, alors que tu rentrais de l'école complètement épuisée, t'as entendu quelque chose. Ça sonnait comme le paradis à tes oreilles. Une mélodie. Un truc pas ordinaire, par contre. Quelque chose qui bougeait, qui te transportait. Sans même t'en rendre compte, tu étais déjà en train de danser au beau milieu de la rue sur ce rythme qui te faisait tout oublier. Il n'y avait aucun chanteur, mais ça tu t'en foutais; la musique suffisait à transmettre tout un message. Puis, ça s'était arrêté. Pendant quelques minutes, tu t'étais promenée, cherchant d'ou ça venait. C'était quoi tous ces instruments? T'arrivais pas à en distinguer un seul. Puis, en tournant dans une petite ruelle, t'as vu ce garçon. Avec sa petite table remplie de boutons et de disque. La musique était repartie. Il avait un gros casque sur les oreilles, faisait danser ses doigts sur les touches en regardant l'écran devant lui. T'étais hypnotisée. T'arrivais plus à détacher tes yeux de ce spectacle. Il avait l'air complètement immergé dans son monde, seul. Tu l'enviais. Toi aussi tu voulais faire tout ça. Être toi même à travers tous ces sons. Alors tu t'es avancée, lui a tapoté l'épaule en lui demandant de t'apprendre. Comme ça. Et il t'a tout appris. Tu pouvais à ton tour te perdre dans la musique techno, la manipuler, en faire la mélodie que tu voulais. Raconter tes histoires sans dire un mot.


Peu à peu, tu te faisais remarquer. Ton style vestimentaire avait changé, on te disait marginale. T'as décoloré tes cheveux, t'as enfin eu le courage d'être ce que tu voulais être. T'as fait de la musique publiquement. T'as posté des vidéos de toi sur le net, pour te faire connaître un peu. T'as tenu tête à tes parents, t'as fait la fierté de Yui. Puis un jour, on a vu ton potentiel. On t'as engagée dans une agence. On t'as dit que tu ferais fureur; une fille DJ? On en voyait pas souvent. Et avec ton style en plus, ce serait géant. T'étais heureuse pour la première fois. T'as compris ce que c'était que le bonheur à l'état pur. Alors te voilà, Shizu. Une professionnelle, rien de moins. Tu vis ton rêve et tu croques la vie à pleines dents pour la première fois.

 

« Shizu? c'est le genre de fille que tu vas voir passer dans le hall en te demandant d'où elle sort. Je l'ai déjà vue? Impossible. Elle est un peu unique en son genre. À première vue, on se dit tous qu'elle a l'air un peu... superficielle. On s'excuse en se disant qu'on ne pourrait faire autrement. C'est vrai, quoi. Par contre, quand on commence à lui parler un peu (ou plutôt, quand elle commence à nous parler), on se rend compte qu'en fait c'est tout le contraire. Elle déborde de joie de vivre, Shizu. Genre, elle pourrait en vendre. Nan je te jure! C'est toujours celle qui remonte le moral de tout le monde quand ça va pas, c'est elle qui lance des blague pourries qui nous font éclater de rire à 3 heures du mat'... tu vois le genre? »

« Ah mais purée Sawako, t'oublies tellement un truc important... allez j'vais vous le dire moi. Le truc avec Shizu... c'est qu'on dirait presque qu'elle est deux personne en une seule, en faite. Ouais je sais c'est pas clair, attendez je  m'explique. Tout ce que Sawa a dit, c'est vrai. Mais... ça s'applique que si Shizu vous aime bien. Sinon, elle a un sacré caractère. Faut pas trop s'y frotter, sinon on risque de se faire cracher au visage. Elle ne s'en prend pas aux plus faibles ou aux plus forts, c'est pas comme ça... seulement, si elle aime pas quelqu'un, c'est foutu. C'est la mort, ciao, rest in peace mon ami. Elle n'a pas la langue dans sa poche, et vous aurez tôt fait de le savoir. Si ce que vous portez est laid, si votre nouvelle coupe de cheveux vous donne des airs de Billy Ray Cyrus et son célèbre Mullet, elle ne passera pas par quatres chemins pour vous dire à quel point c'est horrible. Ça peut presque se transformer en qualité dis donc... faut pas lui enlever ce qu'elle à, notre Chizu elle est honnête et directe. Ça ses avantages et ses inconvénients, comme on dit. M'enfin, elle peut être un peu difficile d'approche au début vu son caractère, mais si on persiste ou si on tombe une journée où elle va bien... on se rendra vite compte que c'est une chic fille qu'on gagne à connaître et garder près de soi. »

« Ah oui oui, c'est vrai tout ça. Elle est complexe Yoshioka hein? Mais sous ces airs là se cache une fille très simple et... maladroite. Vous pourrez souvent la voir par terre, la jupe relevée en train de rigoler toute seule parce qu'elle vient de se prendre le sol en pleine figure. Étrange? Ouais, elle est étrange Yoshioka. Mais moi je l'aime comme ça justement. Ah et autant que physiquement, elle représente en elle même la féminité que mentalement, c'est un vrai garçon manqué. Elle aime les jeux vidéos, veut devenir DJ, jure aux trois mots et j'en passe. C'est ça qui est intéressant avec elle. On s'attend à quelque chose de totalement différent que ce qu'elle est vraiment. »