Début de vie sans histoire. La famille Mitarashi ne se différencie que peu des autres. Le père et la mère ont tous deux du sang français - surtout le père - ils se connaissent depuis si longtemps que le mariage est une évidence. Deux enfants, un garçon d'abord, six ans après une petite fille, née prématurée, elle reste à l'hôpital pendant quelques semaines. Puis elle arrive dans le foyer, y trouve sa place comme si c'était normal, comme si c'était facile.

Son frère, surtout, ne la lâche pas. Petite Lily aurait pu mourir avant de vivre, il est mature, il comprend que sa petite vie est précieuse, qu'il doit la protéger, se battre pour elle, il est grand frère. Son grand frère. Il lui lit des histoire, lui explique les mots qu'elle ne comprend pas encore et ne retient d'ailleurs pas, lui fait écouter de la musique, toutes sortes de musiques, sous le regard approbateur de leur père. Déjà à cette époque, la mère n'est qu'une ombre qui s'efface.

Bébé grandit. Précoce, très précoce. Elle lit très vite, se perd dans des mondes imaginaires qu'elle arpente en toute liberté. Elle aime ce mot, liberté. Elle aime aussi Elliot, le prénom de son frère. Elle le murmure la nuit, partageant son lit depuis sa très petite enfance sans que les parents y trouve quoi que ce soit à redire. Parfois ses rêves sont agités, terreurs nocturnes et crises de somnambulisme. Elliot se réveille aux cris de sa soeur, tente de la calmer sans la réveiller - sans quoi tout recommencera - de la garder dans le lit aussi. Il remarque bien vite qu'elle reconnaît les passages de livres qu'il cite et s'y accroche pour s'apaiser, même si le lendemain elle a oublié.

« La nuit se regroupe, et voici que débute ma garde. Jusqu'à ma mort, je la monterai. Je ne prendrai femme, ne tiendrai terres, n'engendrerai. Je ne porterai de couronne, n'acquerrai de gloire. Je vivrai et mourrai à mon poste. Je suis l'épée dans les ténèbres. Je suis le veilleur au rempart. Je suis le feu qui flambe contre le froid, la lumière qui rallume l'aube, le cor qui secoue les dormeurs, le bouclier protecteur des royaumes humains. Je voue mon existence et mon honneur à la Garde de Nuit, je les lui voue pour cette nuit-ci comme pour toutes les nuits à venir. »

C'est celui qui fonctionne le plus. Elle a besoin de sentir qu'il est là et la protège. Les parents, eux, ont tenté de trouver quelque chose, n'importe quoi, pour que les terreurs cessent. Psychologues et médecins sont vains toutefois, ça arrive, et elle refuse de prendre les médicaments, ils la rendent faible, incapable de réfléchir.

Cela s'arrange un peu en grandissant. Elle va à l'école, plus facilement fatiguée. Elle travaille beaucoup, juste pour avoir les meilleures notes possibles. Ce n'est pas une compétition pour elle mais un loisir, elle vise l'excellence. Son père est fier d'elle. Il commence à lui apprendre le français et l'anglais. Elliot assiste aux leçons, il est fier de sa soeur. Lui, il connaît déjà ce qu'elle apprend, la tradition des Mitarashi pour ne pas perdre de vue les racines européennes.

A l'école, il est populaire, très populaire, depuis qu'il est tout petit. C'est un fardeau qu'elle doit porter, elle qui vient après. Elle n'aime pas vraiment ça, elle n'est pas une créature sociable. Pour elle, la journée idéale se passe en compagnie d'un livre, écouteurs vissés sur les oreilles, parfois avec son père ou son frère. Pas sa mère. Leurs mondes sont trop différents. Madame Mitarashi aimerait que son excentrique enfant rentre dans les rangs, à pas dix ans elle l'envoie paître.

Elle apprend le piano depuis qu'elle a six ans, avec un professeur, puis avec Elliot. Par contre, la guitare, elle apprend seule, un peu plus tard. Le violoncelle, c'est à onze ans qu'elle s'y intéresse, mais elle ne trouve personne pour lui enseigner, juste un musicien de passage en ville qui lui apprend à jouer un ou deux morceaux.

Le chant vient tout seul. C'est naturel pour elle, et quand son frère l'entend pour la première fois, il en pleure. C'est qu'elle a choisi l'Hallelujah de Leonard Cohen et Jeff Buckley, sa chanson préférée, et elle s'est accompagnée de la guitare on la maniant comme une berceuse. Puis son père l'a entendue, sa mère aussi, bien que cette dernière n'en a pas été charmée. Lily est devenue l'enfant qui chante. Ils habitaient dans une petite ville, le genre où les rumeurs s'éparpillent plus vite que de la poussière.

Elle a douze ans quand elle monte sur scène pour la première fois. C'est pour la porte ouverte de son collège, et comme c'est le seul de la ville, tous les habitants ou presque s'y rendent. Elle chante The Scientist, de Coldplay, puis d'autres chansons parce que le public en redemande. Elle redescend de scène surexcitée, fatiguée et extatique. Elliot prend la relève avec ses tours de magie - il a toujours été doué avec ses mains. Et l'enfant qui chante fait grand bruit dans la ville, pour quelques jours, quelques semaines, avant de se perdre dans le néant.

Peu à peu disparaît la petite enfant docile. Lily aime réfléchir, même quand c'est inutile. Cela la divertit. Quand sa mère tente de lui imposer des cours de cérémonie du thé à la place de ses cours de piano ou de français, en réponse elle rafle ses économies et va chez le coiffeur, se teindre les cheveux en bleu. Elle a toujours aimé le bleu. Sa mère crie, s'énerve, la punit, mais il est trop tard, c'est fait. Plus question de prendre des cours de cérémonie du thé « dans cet état », elle a gagné.

Elle reste la première de classe silencieuse - au point de ne pas répondre aux professeurs quand ils l'interrogent à l'oral - mais commence à désobéir. Elle est attirée par ce piano-bar rock'n'roll à la périphérie de la ville, y passe presque toutes ses heures de sortie après les cours, parfois accompagnée d'Elliot, parfois seule. Son style vestimentaire se transforme. Elle achète ses vêtements dans les friperies et les retouche au gré de sa fantaisie. On lui offre des babioles argentées à porter en bagues ou en collier, mais pas d'or ou d'or-faux parce qu'elle n'aime pas cette couleur. Elle s'intègre à la populace du bar, ils lui payent une boisson soft quand elle vient au piano demi-queue, quand elle chante, quand elle joue de la guitare. Là, elle ne craint pas de parler, elle s'épanouit, grisée par la liberté.

En chemin, offerts par son père, elle découvre les livres de Pierre Bottero. Il la fait commencer par une oeuvre courte, Zouck, quand il voit que ça lui plaît il lui offre les intégrales d'Elana et d'Ewilan, et elle s'y plonge à corps perdu. Au bar, on raille gentiment la petite mésange qui s'envole dans ses mondes imaginaires, et elle rit avec ces gens que parfois elle connaît bien, parfois à peine.

Son père n'en parle pas ouvertement mais il approuve sa liberté. Lui l'a trouvée en voyageant, elle en vivant son amour des livres et de la musique, où est le problème ? Il l'aide même, en finançant ses teintures et achats de vêtements et d'accessoires. Il rit quand il faut renflouer la boîte à couture en boutons ou en fil, parce qu'elle l'amuse, sa petite fille chérie.

Elliot a arrêté ses études après le lycée et s'est dirigé vers des écoles du cirque. Il veut devenir musicien. Il ne quitte pas la maison, trop attachée à sa famille, à son petit oiseau. Ils partagent toujours la chambre et le lit, les parents n'en disent rien puisque leur relation est saine. Souvent, il ramène une copine à la maison, mais elle ne reste jamais dormir. Lui, parfois, il va dormir chez une fille, et en réponse Lily trouve refuge dans ce bar qu'elle aime tant. Elle n'y dort pas, mais elle connaît bien le propriétaire et il la laisse crécher à l'étage, lire jusqu'au matin, tant qu'elle va à l'école.

Elle a dix-sept ans quand elle sort pour la première fois avec un garçon. Ils couchent ensemble, elle n'aime pas vraiment, quand elle s'en va ils ne se revoient pas. Elle ne se sent pas différente ou sale ou impure, même pas adulte. Elle ne ressent que l'indifférence pour ce garçon qu'elle n'aimait pas. Ils l'ont fait parce qu'ils en avaient envie, c'est tout. Elle refuse d'être déçue, tourne la page, va au bar et boit sa première bière. Une bière à la cerise. Le goût est pas mal. Elle boit des softs après, pour que sa mère ne devine pas.

Bref, elle vit sa vie de presqu'adulte. Elle a sauté une classe, alors elle obtient son diplôme de fin du lycée à dix-sept ans. Sa mère voudrait la pousser à de grandes études, elle lui rit au nez. Oui, plus tard peut-être, mais l'an prochain elle a déjà décidé, elle tente sa chance dans cette école pour idoles, elle veut faire de la musique son métier. La famille va lui manquer pendant cette année, le bar aussi.

En janvier, peu après son anniversaire, elle passe le concours. L'écrit lui paraît d'une ridicule facilité, elle en rit même avec son frère, qui l'a accompagnée, quand elle sort de la salle d'examen. Elle le réussit avec mention, un presque sans-faute, et se présente à l'audition. Elle chante Radioactive, d'Imagine Dragons, une version au piano qu'elle a composée quand elle est tombée sous le charme de la chanson. Sa voix, toute en douceur, en émotion, avec ce brin d'impertinence, l'intensité et la justesse chirurgicale, convainc les juges. Elle est acceptée, ira en classe S.

Pas de contestation, son père intervient quand sa mère tente de l'envoyer dans une université à l'autre bout du pays. Il ne laisse le choix à personne, l'enfant qui chante doit suivre la voie qu'elle souhaite voir se dérouler sous ses pas. Lily fait ses valises, emporte autant de vêtements qu'elle le peut, pour chaussures uniquement ses lourdes bottes de rockeuse en cuir noir, quelques accessoires, sa sacro-sainte boîte à couture. Des livres aussi, elle ne peut pas balader son piano mais refuse de laisser sa guitare.

Quelques craintes, bien sûr. Elle dormira pour la première fois sans son frère. Le personnel est prévenu de ses crises de terreur nocturne et de somnambulisme qui, si elles se sont raréfiées, n'ont pas disparu pour autant. Elle fête son départ au bar, en chantant une bonne partie de la soirée, en dansant aussi, et tant pis si certains des gars sont trop vieux pour que cela soit décent, elle n'en a rien à faire de la décence, elle vit. Elle boit mais pas au point d'être saoule, mange bien assez pour se sentir bien, bref, elle savoure cette soirée, la dernière pour une année qui sera sans doute longue.

Et la voilà, devant le portail de l'académie Saotome. Elle est calme, plus que jamais. Sûre d'elle. Elle avance, traînant derrière elle tous ses bagages. Le vent a le goût de la liberté, le temps est doux, et elle se dit que tout se passera bien. Que peut-il bien lui arriver ? Elle vit, après tout.

Lily est un électron libre. Elle ne vous parle ou ne vous répond que si elle le décide. Elle n'a pas hésité à prétendre être muette pour qu'on la laisse tranquille, elle n'aime pas parler si elle n'est pas parfaitement en confiance avec la personne en face d'elle.

C'est une créature suffisamment mature pour être méfiante, mais pas assez pour reconnaître à l'instinct ceux qui sont dignes de confiance à l'instinct. Elle est du genre à observer en silence pendant des heures, à écouter sans la moindre remarque, percevoir, ressentir. Si elle ne livre à personne ce qu'elle sait, c'est qu'elle a conscience du pouvoir qu'a le savoir sur les gens. Et si elle ne fera aucun mal à qui ne lui cause pas de tort, elle n'hésite pas dans le cas contraire à se montrer impitoyable, très douée pour trouver les petits secrets des gens.

Elle n'est pas agressive pour un sou. Si elle le pouvait, elle aimerait tout le monde. C'est une personne très calme et tranquille, toujours à l'écoute et la plupart du temps respectueuse. On aime souvent sa présence juste pour un petit moment paisible, pourquoi pas sur le toit de l'école, plongé dans un livre ou au rythme de ses doigts sur sa guitare.

Malheureusement, pour ceux qui la déçoivent, elle peut se montrer très cassante. Elle est quelqu'un d'exigeant. On n'a la possibilité de la décevoir qu'une fois, parce qu'elle n'accorde confiance et estime qu'une seule fois. Elle est sèche, trop vieille d'esprit pour l'âge de son corps, trop sage, elle sait et c'est ça le problème.

Elle ne s'aime pas. Elle peut bien rire, vivre sa vie à deux cent pourcents, toujours est-il que face à son miroir, les yeux dans les yeux, elle retrouve cette petite chose trop passive, elle se déteste sans trop comprendre pourquoi.

Ses rêves ne sont pas doux. Il ne se passe pas une semaine sans qu'elle ait une crise de terreur nocturne ou de somnambulisme, parfois les deux. Cela la fatigue énormément, mais elle se force à être attentive le lendemain en cours, ne s'effondrant qu'à la fin de la journée. Elle est une montagne de volonté.

Les gens lui reprochent souvent son manque d'expressivité. Oh, elle joue très bien la comédie sur scène, mais quand il faut sociabiliser, elle se referme, pense avec mélancolie à son frère et au bar où elle se sentait si bien. Elle ferme les yeux et se laisse aller, passivement, à ce besoin de repos qui l'étouffe.

Elle est jolie, Lily, il faut bien l'avouer. Globalement, elle est jolie. Bien sûr, elle a des défauts, certains très nets et d'autres qu'elle s'imagine. Le premier de cette seconde catégorie est sans conteste sa taille. Pour elle, un mètre quarante, c'est trop peu. Elle se sent frêle - faut dire qu'elle l'est, son poids n'est pas constant mais elle gagnerait à prendre quelques kilos - et fragile. Vulnérable.

Elle a une jolie peau pâle, pas vraiment de défauts, juste des cicatrices sur les genoux, les paumes et les coudes parce qu'elle tombe souvent. Quelques grains de beauté discrets. Aussi, elle a de légères taches de rousseur qui ne font que rehausser son apparence très européenne. Son sang japonais ne se voit pas vraiment sur ses traits, si ce n'est la façon dont ses yeux sont légèrement bridés.

Ses yeux, justement, sont magnifiques. Grands, d'un bleu de glace, marqué par un contour plus sombre, ils en ont charmé plus d'un. Elle a ce regard intense, droit et juste, qui plaît aux gens sans effort, et de longs cils sombres pour encadrer ses prunelles claires, les rehausser encore. Pour lire, elle doit porter des lunettes, généralement elle choisit celles à monture en plastique rouge, les verres rectangulaires, qu'Elliot lui a offertes pour la blague.

Le reste de son visage a tendance à plaire, lui aussi. Des traits fins, altiers, dessinés avec précision... Un garçon sous son charme rêvera d'embrasser ses lèvres entre innocence et sensualité, un homme sera fier de l'avoir à son bras, une femme la jalousera un peu si elle se sent menacée. Elle, pour ce visage, elle ne ressent qu'une pointe d'indifférence.

Elle n'aime pas vraiment le maquillage. Elle évite comme elle le peut fond de teint et vernis à ongles - ongles qu'elle ronge par ailleurs - mais ne rechigne pas à porter un trait de crayon noir sous les yeux et un peu de mascara sur les cils. Pour ce qui est des bijoux, elle n'aime pas ce qui est doré mais s'affuble volontiers de babioles argentées. Le parfum enfin, elle n'en a pas besoin : puisqu'elle mêle une huile essentielle à son gel douche et son shampoing, sa peau et ses cheveux sentent le jasmin, odeur véritablement incrustée sur elle mais bien dosée.

Ses cheveux, ils se remarquent de loin. Le bleu, intense et agité de reflets à la moindre lumière, elle l'aime, vraiment. Bien sûr, à force de teintures, ils sont un peu fragilisés et fourchent régulièrement, mais bon, elle ne leur en tient pas vigueur. Elle n'aime pas se coiffer mais s'y applique, matin et soir, sans quoi le coup de brosse deviendra un cauchemar, puisqu'ils sont fournis et tombent plus bas que ses fesses.

Vêtements, enfin. Son style vestimentaire ne ressemble à aucun autre, puisqu'elle personnalise la plupart de ses tenues à coups d'influences punks, gothiques, victoriennes, visualkei, gothic-lolita voire sweet lolita. Pour ce qui est des teintes, elle aime porter toutes les nuances de bleu, des couleurs monochromes et parfois quelques touches argentées. Elle accompagne volontiers ses vêtements de mèches colorées dans ses cheveux ou de lentilles teintées.