Je marche silencieusement dans les rues de Tokyo, laissant ces milles et une gouttes de pluie s'emparer de moi. Je marche sans vraiment savoir où je vais ; chacun de mes pas m’emmène où bon lui semble. Mon cartable était anormalement plus lourd que d'habitude, mon épaule avait du mal à le supporter. Je lâchais quelques gémissements, en haletant légèrement. Le chemin me semblait si long, je n'en étais qu'à la moitié.

Mon regard est attiré par les vitrines lorsque mes pieds s'arrêtent soudainement. Je fixais ces vitrines, je les fixais éperdument. Non, je n'étais pas attiré par toutes ces futilités, ni par la jeune femme qui était derrière cette vitrine. Cela peut sembler assez narcissique mais j'étais tout simplement en train de me contempler moi-même. J'analysais chaque défaut et chaque point fort de mon physique, les gouttes de pluie ruisselaient sur mon visage sans couleur, il était comme transparent. Pendant quelques secondes, je m'étais trouvé plutôt mignon mais hélas, pure illusion d'optique. J'avais beau me remonter le moral en me disant que j'avais la chance d'être en vie après tout ce qui s'est passé mais mon avis ne changeait pas. De nombreuses personnes passaient devant moi et je repris tout doucement mes esprits. Je tournais les talons et je continuais de marcher, en toussant légèrement.

Seize. Seize putains d'années que je vis le même enfer. La routine, la banalité, l’effacement, la fausse joie, l’indifférence : tout ce qui me caractérise. J’ai bientôt dix-sept ans et je ne sais toujours pas quoi faire dans la vie. Mes résultats sont plus qu'excellents, je n'ai pas peur pour mes études mais rien ne me plaît. Je ne trouve aucun métier qui me correspond, je n'aime pas grand chose à part dessiner, je ne fais rien à part étudier. J'en ai vraiment marre de cette vie, rien de surprenant se passe. Je ne suis qu'une poupée fragile aux yeux de tous. Ils n'ont aucune idée de ce que je peux ressentir. Baisser la tête, rester seul pour éviter le danger : c'est mon quotidien.

Je m'arrête. Mes yeux fixaient cette boutique qui m'était alors inconnue jusqu'à présent. Je frissonnais et même si je ne le montrais pas, j'avais froid, très froid. J'ouvrais la porte et je me dirigeais doucement vers le fond de la boutique, où était placé le radiateur. Je m'en fichais de la décoration, des gens qui étaient autour de moi. Ce qui m'importait, c'était de me réchauffer pour ne pas attraper la crève. Soudain, un adolescent s'approchait doucement de moi. Je n'avais pas remarqué qu'il était rentré, il se posta devant moi et me tendit une boisson chaude. Nos yeux se croisent, et l'espace d'une seconde, j'ai l'impression que son sourire est sincère. Cela fait longtemps qu'on ne m'a plus proposé ce genre de choses, et je mentirais si je disais ne pas avoir été heureux, sur le moment. Je tendais la main doucement pour accepter sa proposition si alléchante. Une douce odeur de chocolat se dégageait du contenu de cette boisson et je ne pouvais pas m'empêcher de sourire en le fixant. C'était tellement adorable comme geste.

« Tenez, je pense que vous en aurez autant besoin que moi. »

Je déposais ma main sur la tête de ce garçon puis je lui frottais le crâne doucement en lui rendant son sourire. Sa chevelure était mouillée et si douce. Je pris mon courage à deux mains pour lui répondre.

« M-Merci. C'est très aimable de ta part... Je ne sais pas quoi faire pour te remercier... »

Je baissais légèrement la tête et je buvais quelques gorgées de cette boisson en frissonnant, mon corps tout entier se réchauffait et je me détendais peu à peu. Voyant que le jeune homme se détendait lui aussi, je le fixais une nouvelle fois pour esquisser un sourire. Je n'ai jamais été doué pour parler, je me sentais gêné que ça soit une personne plus jeune que moi qui m'accorde de l'attention. Il est juvénile, il a sûrement besoin de réconfort et d'attention. C'est ce que j'allais lui donner, mon coeur battait un peu plus fort et mes pommettes devenaient rosées. J'attendais qu'il réagisse en m'asseyant délicatement sur une chaise près d'une table, l'invitant à s'assoir en face de moi.