Jun'ichi avait fait une entrée des plus banales sur la scène de la vie.
Il avait deux parents normaux, une soeur d'un an plus grande que lui avec qui il se disputait cesse depuis qu'il avait l'âge de parler. Il allait à l'école, comme les trois-quarts des enfants, et menait ce train de vie routinier sans parvenir à y prendre réellement goût, mais sans pour autant cracher dessus. Il se sentait un peu machine, d'accomplir à chaque instant de son existence chacun de ces gestes mécaniques. Il faisait tout comme tout le monde, parce que c'était ce qu'on lui disait qu'il fallait faire.
Et le petit garçon se demandait pourquoi.
Mais les parents ne savent pas quoi répondre à de telles questions.


Ainsi, comme ses parents, sans être ni riches ni trop pauvres, en avaient en ce temps les moyens, il se retrouva avec un violoncelle entre les mains. En soi, ce fut l'une des expériences les plus merveilleuses de sa vie. Du haut de ses huit ans, apprivoiser l'instrument lui prenait du temps ; temps durant lequel il ne se posait pas de questions. Ah ! Et qu'est-ce que c'était bon, de ne pas réfléchir. La musique lui apprenait à se concentrer sur l'instant, à ne penser ni à l'avenir incertain ni au passé sans saveur. Et puis il adorait ça, en plus.

Un peu plus tard, il découvrit que la voix aussi était un instrument intéressant. Alors, il se rajouta du travail. Il s'échappait ainsi sous l'oreille attendrie de ses géniteurs et les "non mais tu vas la fermer ?!" de sa chère grande sœur, dont il ne se souciait guère, bien évidemment. Peut-être même continuait-il surtout pour encore l'entendre râler. En bref, il pouvait se contenter de cette vie qui allait tranquillement, malgré ce vide, dorénavant comblé par sa nouvelle passion.


Oui. C'est ce qu'il avait répondu, quand sa mère lui avait expliqué ça sans pouvoir se retenir de pleurer. Ce mot avait une saveur terriblement amère, ce jour-là. Mais que pouvait-il faire d'autre ?


Oui.


Oui.

Oui.

L'argent ne revint pas au foyer, et pour un foutu problème d'hormones de croissance, Jun'ichi allait rester dans un corps d'enfant de quatorze ans.

Il le vécut mal. Il recommençait à se poser encore plus de questions, et il passa une grande partie de son adolescence dans une solitude totale.
Il réfléchissait, à propos de tout et de rien. Il se demandait si sa vie avait été trop tranquille au goût des forces qui régissaient le destin, s'il l'avait mérité. Et puis, au fond, ça n'avait pas d'importance, c'était à peine s'il avait réellement envie de savoir. Alors, Jun' se réfugia, en premier lieu, dans l'interdit en se mettant à fumer en cachette. Ça n'apportait pas grand-chose, un maigre réconfort, mais il ne parvint pas à s'en défaire.
Pour compenser, il revint vers la musique.

C'est qu'il en avait fait, des progrès, le petit. Même sa soeur, parfois, venait l'écouter quand il chantait, et elle ne lui hurlait plus de se taire. Mais il y avait un quelque chose d'étrange.
Quand il s'écoutait, il entendait une fille. Et quand il se regardait aussi, d'ailleurs, sous certains angles. Alors, aussi étrange que cela puisse paraître, il prit cette habitude, quand il était seul, de se glisser dans la chambre de sa soeur et de lui emprunter deux trois affaires, pour voir à quoi il ressemblait, comme ça. Avec quelques réglages, l'effet était stupéfiant. Cela l'amusait, en quelques sortes.
Jun'ichi prit donc la décision de ne pas rejeter, mais même d'accentuer ce qu'il était devenu. Il ne serait jamais grand et viril ? Très bien ! Il cultiverait donc son physique d'enfant androgyne. C'était le seul moyen de s'accepter, de toute façon.

Il descendit dans la rue, tous les jours, pour chanter avec son violoncelle - un peu petit maintenant, mais l'objet était précieux à ses yeux. À l'âge de quinze ans, par il ne sait quel miracle, il fut repéré. Le jeune homme profita donc de cette chance ; de plus, il voulait gagner de l'argent pour vite prendre son indépendance. Et apprendre à jouer de la harpe aussi, il adorait cet instrument.
Mais il se sentit obligé de demander une faveur. Juste une.

« Je pourrai être une fille, sur scène ? »

Pour peu qu'on le connaisse, on sait que la personnalité de Jun'ichi dénote quelques peu avec son physique.

S'il possède ces traits clairs, enfantins, il est loin d'être candide. Cynique, un brin désabusé, il a tendance à surtout retenir le mauvais côté des choses, ce qui lui vaut au passage d'être terriblement rancunier. Il ne manquera pas l'occasion de se moquer, gentiment ou non, ou bien de vous lancer une petite pique pour voir les réactions qui en découlent. Il est un peu taquin, ça ne veut pas dire qu'il vous ne vous aime pas - ni qu'il vous apprécie. C'est une personne plutôt sociable, par ailleurs. Il n'est pas forcément apprécié partout où il va, par son côté "mec qui s'invite et plombe l'ambiance" et sa fâcheuse tendance à s'amuser à faire tourner les autres en bourrique, mais n'a aucun problème pour aborder quelqu'un. Tenir une conversation, c'est plus compliqué. Alors on ne le sollicite pas souvent, parce qu'il n'est pas toujours très amusant, et que sa mauvaise foi l'empêche souvent de profiter des bonnes choses.
Dit comme ça, il paraît un peu antipathique, mais ce n'est pas pour autant qu'il n'a jamais l'air heureux. Ses sourires ne sont pas si rares, et sincères la plupart du temps.
Même s'il panique facilement, il n'est pas très sujet à la colère. Au contraire, son calme constant peut être très irritant, tant il est parfois proche de l'indifférence. Pourtant, tout le préoccupe, il se prend la tête pour un rien, mais il tient à ne pas perdre son sang-froid. Cela peut paraître rassurant, d'un autre côté ; en fait, c'est une qualité ou un défaut selon les situations. Et puis, pour canaliser son stress constant, il s'allume une cigarette - il subit une sévère addiction au tabac - et tout paraît plus simple.

Jun' a, en effet, tendance à facilement céder à ce genre de tentations. Franchement, il ne refusera jamais de quoi se détendre, oublier un peu ses questions permanentes. C'est un petit gars fragile, un peu perdu, qui se débat pour ne pas noyer au milieu de toutes ses remises en question sous couvert d'une pseudo-assurance mal gérée. S'il n'a pas tourné mal, c'est grâce à la musique, qui reste l'échappatoire le plus sain qu'il ait trouvé. Il aime profondément ce qu'il fait. Sinon, il ne ferait rien, en fait - si ce n'est par passion ou par obligation, il ne mène aucun projet, aussi petit et ridicule soit-il.

Véritable opportuniste dans l'âme, pour arriver à ses fins, ruses et coups bas ne lui causent pas trop de remords, tant qu'il ne risque pas de se faire attraper. Il n'est pas honnête dans ses actes ; mais dans ses mots, oui. Enfin, à peu près. Il ment rarement, mais avoue les choses avec "subtilité", comme il dit. Il tourne autour du pot, sous-entend, en fait, il préfère faire comprendre à tout balancer en bloc. Il voit ça comme une preuve de noblesse, une attention, mais ce n'est pas souvent l'avis de tout le monde.

Et l'avis des autres le blesse.

C'est peut-être surtout en cela qu'il est fragile, et un peu la cause de ses angoisses. Parce qu'il vit grâce aux autres, que ce soit dans sa vie professionnelle ou quotidienne. Alors il fait attention à ce qu'il montre, sans jamais réussir à ce qu'on voie en lui ce qu'il veut montrer. C'est un peu de sa faute, d'un côté, à lui qui brouille les pistes comme il le veut. Mais il ne perd pas espoir ; Jun'ichi est un jeune homme tenace, qui sait ce qu'il désire.
Mais il est vrai que l'obtenir, c'est une autre affaire.

Un enfant, voire même une ; c'est ce qu'on voit en regardant Jun'ichi.

Alors évidemment, ça surprend toujours de le voir clope au bec ou bière à la main. Mais oui, il a véritablement dix-huit printemps derrière lui, bien qu'il doive le prouver chaque fois qu'il veut profiter de ses droits d'adulte. Du haut de son mètre cinquante deux, il est plutôt attendrissant, il faut l'avouer. Son visage aux traits plus que juvéniles a ce petit quelque chose de difficilement explicable, un peu hypnotique. Mais c'est surtout dû aux deux grands yeux bleus qui y sont engoncés et, faute d'être très expressifs, restent agréables à regarder. Ils sont encadrés par des cheveux teints de bleu, qu'il attache au gré de ses envies - mais souvent en ces sortes de petites couettes, pour lesquelles il a une affection particulière.

Car oui, Jun'ichi cultive son androgynie. Et pas qu'un peu. Il y a le Jun'ichi de la vie de tous les jours, et le Jun'ichi de la scène, qui est... une fille. En effet, il se travestit pour entrer dans son rôle d'idole. Il pourrait y avoir de nombreuses raisons à ça, comme par exemple une façon de véritablement se dissocier de son personnage de scène, ou juste de s'amuser de la crédulité des autres. Si vous venez à le savoir, car il ne le crie pas sur tous les toits évidemment, il vous sortirait un milliers d'excuses sans problème. Et puis, ce n'est pas compliqué : un peu de maquillage, de rembourrage, une coiffure trompeuse, quelques bijoux, et le tour est joué pour lui. Par ailleurs, même si l'on pourrait avoir un doute, son attitude entière, même au quotidien, est trompeuse : dans ses gestes, sa démarche, son regard, il est toujours très doux, léger, féminin. Et puis sa voix ; celle d'une jeune fille, sans aucun doute, elle a de surcroît gardé une sonorité très enfantine.

En ce qui concerne les vêtements, Jun' alterne entre plusieurs styles, mais tombe rarement dans l'excentricité totale. Il aime prendre soin de lui, et ne sera donc jamais vêtu n'importe comment - ou alors, c'est grave. Il lui arrive aussi de se travestir pour sortir normalement, d'ailleurs, alors faut-il se méfier en sa présence ; c'est un petit jeu dans lequel il se plaît bien.