Tu rangeas rageusement ton téléphone portable dans ton sac. Excédé par ces messages répétés de cet imbécile avec qui tu avais travaillé pour une publicité, une fois. Pourquoi, au juste, lui avais-tu filé ton numéro ? Sans doute parce qu'il avait l'air sympathique, sur le coup, et que tu avais appris qu'il fallait toujours avoir des relations dans ce milieu. Ton téléphone était d'ailleurs rempli de ces contacts dont tu prenais poliment des nouvelles de temps en temps, et avec qui tu négociais parfois des faveurs, ou effectuais des propositions. Mais ce type-là était une honte pour le milieu. Il n'arrêtait pas de lui envoyer des messages tous plus stupides les uns que les autres. Tu avais cessé de lui répondre au bout d'un moment, mais il continuait de t'envoyer des messages. Et récemment, il commençait à s'échauffer, et à te faire des propositions plus que douteuses. Tu lui avais sèchement répondu d'arrêter cela, mais il ne semblait pas t'écouter. Alors tu effaçais ses messages, désormais. Si ton agence voyait cela, ça te poserait des problèmes alors même que tu n'étais coupable de rien du tout. Tout cela, parce que les fans ne savaient pas se tenir.

En voilà une, justement, qui se mit à crier « HIDE-CHAAAAAAN ! » alors tu traversais d'un pan lourd le parc. Tu fis celui qui n'avait pas entendu ; des types blonds avec de longs cheveux, il en existait plein. Et puis, tu n'avais pas envie de te faire remarquer, tu avais congé aujourd'hui et tu avais juste envie de profiter d'un peu d'air frais - pour quelqu'un comme toi qui avais vécu toute sa jeunesse à la campagne, tu étouffais parfois dans cette atmosphère urbaine, et ressentais le besoin de voir un peu de verdure. Cela te rappelait ces longs moments que tu passais à observer la nature en jouant de la musique. Pour le coup, tu n'avais pas ton instrument, mais tu avais envie d'observer un peu de vert. Tu aimais beaucoup être contemplatif, désormais. Le parc n'était pas aussi calme que ta campagne natale, mais cela te suffisait.

Toutefois, la fan refusa de se laisser ignorer comme cela. Elle t'agrippa la manche - tu retins une grimace, car tu détestais quand les gens faisaient cela - et te força à te retourner. Tu ne voyais pas vraiment à quoi elle ressemblait. Tu avais rabattu tes cheveux devant les yeux, comme toujours, et tu n'apercevais qu'une chevelure brune et un teint rosé à travers un champ de mèches décolorées. « HIDE-CHAN, JE SAIS QUE C'EST TOI, C'EST TROP BIEN, J'AI TOUJOURS RÊVÉ DE TE RENCONTRER ! » Et son monologue continua encore, tandis que toi, tu la regardais, complètement perdu. Elle était si discrète que les gens vous regardaient. Un certain nombre ne devaient visiblement pas le reconnaître ou ne savaient pas du tout qui il était, car leurs regards étaient plutôt désapprobateurs. Tu te sentis mal. Tu tentas de faire reculer doucement la fille. « Écoute, je peux comprendre que tu sois ravie, mais... » Peine perdue, car elle ne t'écoutait pas. Elle se contentait de répéter à quel point elle l'aimait, et des inepties de ce genre. Tu ne savais pas comment la gérer. Les choses dérapèrent complètement quand elle se pencha vers toi pour essayer de t'embrasser. Tu tentas de reculer, mais elle t'enserrait bien, et tu ne pouvais pas te défaire de cette prise sans lui faire du mal - et faire du mal à une fille, c'était un peu comme signer ton arrêt de mort. Imagine si quelqu'un photographie cela et l'envoie sur internet. D'un autre côté, le problème serait le même si tu ne résistais pas. Tu fis donc tout pour t'éloigner, mais avec beaucoup de difficultés. « Mais arrête ça, espèce de groupie ! » Qu'est-ce qu'ils avaient tous, les gens, à vouloir t'embrasser ou à t'envoyer des textos osés ? Ils ne comprenaient pas que Hide-chan n'était qu'une image, que le vrai Hideo était tout autre que celui qu'ils imaginaient ? Le vrai Hideo était malvoyant, et il avait peur. Et puis, il y avait tous ces gens autour. Pas un seul ne semblait s'intéresser à ton sort. N'y en avait-il pas un seul pour le sauver de cette fan hystérique ? Sans doute pensaient-ils que ce n'était pas si grave. Après tout, c'était la rançon du succès.

Ce qui te tombait dessus était sans doute l'une des pires situations possibles. Tu avais affaire à une fille complètement hystérique, qui nageais complètement dans son rêve, et qui refusait de te prendre pour ce que tu étais vraiment. A ses yeux, tu n'étais pas un garçon normal avec ses problèmes et ses aspirations ; non, tu n'étais qu'une image sur papier glacé, le réceptacle de ses désirs et de ses espoirs. Peut-être s'était-elle déjà fait des films sur une possible relation entre elle et toi. Ou alors pire encore, elle t'avait imaginé avec un de tes camarades. L'horreur absolue, pour quelqu'un comme toi. Tu aurais été prêt à faire des efforts dans d'autres circonstances, mais elle attirait l'attention sur toi, et de toute façon, tu n'étais pas d'humeur pour cela. Ton succès avait pris un goût amer ; de plus en plus, tu regrettais d'avoir choisi d'emprunter ce chemin. Pourquoi la musique ? pourquoi devenir idole ? C'était stupide, ce n'était même pas un rêve de gosse ; tu avais choisi cette voie en étant fortement influencé. Tu aurais pu être simplement musicien. Tu aurais eu beaucoup plus d'avenirs qu'en choisissant ce métier où tu as tant à faire. Et tes foutus yeux qui te lâchaient au sommet. Parfois, tu avais envie de hurler, de te plaindre devant le monde entier devant l'injustice de ta situation. Peut-être était-ce un comportement d'enfant gâté ; mais ce n'est pas grave : tu es connu pour tes caprices. C'était toi qui perdais la vue, et pourtant, il te semblait que c'était elle qui ne voyait rien. Comment pouvait-elle aussi aveugle ? Enfermée dans ses illusions. Tu l'aurais plainte si dans l'immédiat, il ne s'agissait pas de l'ennemi.

Heureusement pour toi, un sauveur eut pitié de toi. Quelqu'un s'empara des bras de la jeune fille hystérique, et tout à coup, tu fus libre. Tu n'eus pas besoin qu'on te dise quoi faire, tu esquissas d'office plusieurs pas en arrière pour te mettre en arrière. Tu en profitas pour jeter un coup d'œil à ton sauveur. A travers ta cascade de mèches blondes, tu apercevais un adolescent aux cheveux d'un brun assez typique, l'air tout à fait normal. Pas le genre à attirer des fans hystériques, et tu l'envies affreusement rien qu'en le voyant. Et pourtant tu ne saurais le critiquer ; au contraire, tu l'enviais affreusement. Tu n'étais pourtant pas si particulier physiquement, même si tu t'étais fait blond, mais ce n'est pas comme si aucun garçon de ton âge ne le faisait non plus. La fille semblait se calmer dans sa prise, c'était une bonne chose. Tant qu'elle ne tentait pas de t'embrasser, tu n'allais pas te perdre. « Merci beaucoup. » : lanças-tu en t'inclinant devant le garçon, faisant montre d'une gratitude sincère. Tu ne te sentais pas de partir sans rien lui dire ; d'une certaine manière, ce gars venait de te sauver la vie, et il n'était pas dit que tu étais un ingrat. Tu remboursais toujours tes dettes. Surtout quand ta carrière était en jeu.

Dégageant légèrement ta chevelure de ton regard, tu pris le temps d'observer le jeune homme en face de toi, lui portant bien plus d'intérêt que tu n'en avais porté à ta fan - après tout, il méritait ta reconnaissance. « Je suis désolé que tu aies dû intervenir, la prochaine fois, j'essaierai d'intervenir par moi-même. » Ton ton, si posé, et tes paroles, si raisonnables, te valurent un drôle de regard de la part de la fan, car cela ne correspondait pas vraiment à ce que disait Hide-chan. L'idole était beaucoup plus dure à vivre, toujours à faire ses caprices, pas loin de l'hystérie quand on y réfléchissait - mais dans le bon sens. Toi, en vrai, tu étais beaucoup plus calme. Le contraste devait la choquer. « Y a-t-il moyen que je te paie réparation ? dis-moi et ce sera avec un plaisir. » Tu doutes que le garçon va te demander un autographe ou autre chose dans le genre, ça n'en a pas l'air, et puis, le public visé est avant tout féminin. Il n'empêche, si jamais il a une sœur, une amie qui est fan... voire même lui-même ? Tu n'es pas totalement sûr non plus, mais peu importe. De toute façon, tu ne connaîtras pas l'erreur de lui donner ton numéro de téléphone, un stalkeur ça suffit bien assez. Non, à tous les coups, il va plutôt te dire que ce n'était rien, qu'il a fait cela car c'était juste. Tu aimais bien les idéalistes de ce genre.