Voilà maintenant une semaine que Masato faisait face à un problème. Un problème qu'il n'arrivait étonnement pas à gérer. Un problème qui finirait par lui causer du tord. Le cours Master était loin d'être une partie de rigolade, mais évidemment, jamais personne ne s'était attendu à se détendre en classe avancé. L'agence Shinning et son académie étaient intransigeantes envers leurs protégés. L'entrainement des jeunes idoles était extrêmement rigoureux et pour réellement porter ses fruits il devait être rapide et efficace. Ne s'arrêtant jamais les élèves devaient se perfectionner dans de multiples domaines. Chant et pratique d'instruments, évidemment, mais pas seulement. Il leur fallait aussi suivre des cours de danse, de mode, de communication et plus encore. Heureusement pour l'héritier Hijirikawa, le perfectionnisme lui réussissait. Ainsi, se lever tôt, faire milles et unes taches épuisantes et n'avoir que des temps de pauses minimes, tout cela ne le dérangeait pas. Sérieux et appliqué, il mettait son cœur dans toutes les activités, même celles pour lesquelles il n'avait aucune affinité. Ainsi, le problème n'était pas le travail en lui même, il résidait autre part.

A force de tirer sur la corde raide, de s'épuiser à la tâche et de ne pas s'autoriser à un peu de repos, le jeune homme avait peine à faire quoique ce soit une fois rentré dans sa chambre. En effet, dès que ses différents apprentissages étaient finis, il avait tout juste le courage d'attraper son yukata bleu marine et de se rendre sous la douche. Ses muscles endoloris, sa nuque qui le tiraillait, tout cela semblait presque disparu, une fois sous le jet d'eau. La chaleur de celui-ci, contre sa peau, le rendait somnolant. Sortant finalement après bien trop de temps il se séchait et enfilait son habit traditionnel. Une fois de retour dans la chambre, sans le courage de sécher ses cheveux, il s'asseyait sur son futon et fermait les yeux, se persuadant de rester debout plus longtemps alors que des gouttes d'eau venaient parsemer ses draps. Aujourd'hui était un jour semblable aux précédents. Alors qu'il semblait presque endormi, assit en tailleur sur son lit, le poids de sa tête étira son cou et lui arracha un cri de douleur. Grognant, il glissa sa longue main pale dans sa nuque, massant comme il put et espérant de tout son cœur que son colocataire ne l'avait pas attendu, à tous les coups il en profiterait pour lui asséner une remarque moqueuse.

Comme à son habitude, Ren se pavanait dans les riches couloirs de l'académie Saotome. La soirée était à peine avancée ; revenant de sa douche habillé d'un simple pantalon de survêtement, une serviette dans les cheveux, il avançait d'un pas tranquille, répondant gentiment aux exclamations diverses des jeunes filles qui le suivaient en piaillant avec enthousiasme. Il les salua d'un clin d'oeil qui déclencha un concert de kyatisations avant de s'engager dans l'escalier qui menait aux chambres des hommes du cours Master. Ce n'était pas plus mal que ces demoiselles soient obligées de s'arrêter là, elles auraient réveillé son colocataire qui lui aurait ensuite fait la gueule toute la semaine.
Lorsqu'il entra dans la chambre dont la porte portait leurs noms, il balaya la pièce, plongée dans l'obscurité, du regard. Si lui et Masato partageaient au moins une chose, c'était leur goût de l'ordre. Leurs affaires étaient bien rangées et la chambre parfaitement propre. La différence résidait plutôt dans leurs styles respectifs. Masato faisait dans la conservation des traditions japonaises, tandis que lui affectionnait davantage la modernité. Son colocataire était déjà là mais ne montra aucun signe de vie lorsqu'il s'avança dans la salle sombre. Agenouillé sur son lit, il somnolait complètement, sa tête vacillant de plus en plus, entraînant ses cheveux sur son visage à chaque sursaut.
Ren fit la moue en contemplant ses traits tirés. Il était vrai que leur sempai leur menait la vie dure. Bien sûr et comme toujours, le Jinguji n'en faisait qu'à sa tête et n'avait qu'un respect relatif pour ce-dernier. Il séchait tout bonnement les leçons de mode et de danse, puisqu'il estimait avoir un excellent niveau, et ne s'investissait que lorsqu'il en avait envie dans les activités sportives. Ainsi, il gardait son énergie pour ce qui l'intéressait, ou tout simplement, la plupart du temps, pour paresser. Ce n'était pas le cas de son ami et rival Hijirikawa, beaucoup trop sérieux à son goût.
Ren frottait ses cheveux humides en réfléchissant à tout cela, songeur, lorsqu'un cri le tira soudainement de ses pensées. Il se retourna pour voir le jeune homme se masser douloureusement la nuque, les yeux obstinément fermés. Un sourire apparut aux lèvres du blond, comme s'il lisait dans les pensées du garçon. Il poussa un léger soupir en allumant sa lampe de chevet pour manifester sa présence, s'asseyant au bord de son lit, les yeux rivés sur son colocataire.

- Pourquoi tu te surmènes comme ça ? Mourir de fatigue ne va pas t'aider à devenir célèbre, déclara-t-il avec un désintérêt affiché.

Désapprobation, certes, mais désintérêt, ce n'était pas si sûr. Après tout, il s'était fait un devoir de garder un œil sur cette petite tête bleue depuis plus d'une dizaine d'années maintenant. Et le voir dans cet état ne lui faisait pas plaisir. Cependant il ne pouvait pas non plus se permettre d'être trop prévenant. Masato était un grand garçon, et lui était censé être égoïste, chose qu'il avait tendance à oublier dans ce genre de situation.

Toujours une main glissée sous son yukata, massant sa nuque endolorie, les yeux clos et les sourcils froncés, Masato s'arrêta tout net en entendant le timbre si reconnaissable de son colocataire. Sa voix, toujours jazzy, chaude pour ses fans, moqueuse pour lui. Un regard bleu, non pas froid mais noir alla se ficher sur le visage du blond, à la manière de ses précieuses fléchettes. Après un court instant d'hésitation, alors que ses yeux dardaient toujours contre Jinguji, il décida de ne pas s’embarrasser de réponse. Les paupières définitivement ouvertes, Masato fixait les draps devant lui, ses doigts ne cessant pas de s'agiter contre sa peau pâle. Il ne comprenait toujours pas la désinvolture de son ami d'enfance, il ne l'avait en fait jamais compris. Pour lui tout était tellement sérieux, important … il avait tant peur de ne pas réussir qu'il s'imposait une discipline de fer. Pensif, son regard dériva un court instant en direction de son colocataire, l'observant, cheveux mouillés et une serviette à la main. Ses yeux glissèrent finalement sur sa couette et un soupire passa ses lèvres fines.

Faisant tourner sa tête dans le sens des aiguilles d'une montre puis dans le sens inverse, il finit par se redresse, avançant à quatre pattes au bout de son lit pour attraper la petite table de bois sur laquelle il traçait ses kanjis. Prenant une feuille, ses pinceaux et son encre, il s'installa tranquillement en tailleur. La fatigue continuait de diffuser une brume dans son esprit mais il faisait tout son possible pour l'effacer. Plus lent qu'à l'habitude il finit par tremper un pinceau épais dans le liquide sombre et se mit à tracer, sans hésitation, deux signes. Volonté et force. Des valeurs très masculines que lui avait inculqué son père, sa famille. Lui même pourtant ne correspondait que très peu à ces qualificatifs. Bien qu'athlétique il était fin, de corps comme de visage et la légèreté de son chant révélait une douceur infinie. C'était cependant les seuls rares instants où l'on pouvait palper de si près cette tendresse. Ses émotions, par le biais d'expressions neutres, restaient toujours mystérieuses. Seuls ceux qui le connaissaient beaucoup pouvaient se vanter de savoir ce qu'il pensait. Ren faisait surement parti de ces élus, bien que son rival en doutait, pensant sincèrement qu'il n'avait jamais vraiment fait attention à tout cela.

Observant son parchemin, il cherchait à trouver une imperfection, un problème. Cependant ses paupières lourdes l'empêchaient de mener à bien son travail. Agacé il sortit de nouvelles feuilles. Fatigue. Frustration. Ces signes qui s'alliaient si bien ne pouvaient être plus représentatifs de son état actuel, bien que son dos droit et ses gestes vifs ne laissaient rien paraître.

Son vis-à-vis finit par ouvrir les yeux pour le regarder mais ne prit pas la peine de répondre à une question, de toute façon plus rhétorique qu'autre chose. Il continuait de masser délicatement sa nuque. Ses yeux bleus se firent songeurs et revinrent sur lui avant de le quitter à nouveau. Le Jinguji aurait donné cher pour savoir ce qu'il pouvait bien se passer dans cette tête si sérieuse. Il attrapa alors ses tables pour y tracer des signes, une manie que Ren n'avait jamais trop su expliquer, lui qui préférait lézarder sur son lit ou jouer aux fléchettes.
Curieux, et sans prendre la peine de s'habiller, le blond laissa tomber sa serviette sur son lit avant de s'avancer silencieusement derrière son colocataire. Volonté et force. C'était les deux signes qu'il avait choisis et dessiné avec un perfectionnisme évident. Vu comme ça, ce n'était pas forcément ceux auxquels on pensait d'abord pour le qualifier, et pourtant... Masato avait indéniablement bien plus de volonté que lui, qui se reposait toujours sur ses acquis et sur sa chance insolente. Dans une autre famille, anonyme, pauvre, il n'aurait sans doute pas eu le courage de percer. Tout était trop facile pour un Jinguji, et il lui arrivait de se demander si, tout ce qu'il possédait, il l'avait obtenu grâce à sa naissance. Le Hirijikawa, lui, se donnait corps et âme à ce en quoi il croyait.
Lorsque le chanteur reporta son attention sur les tables, Masato avait eu le temps de tracer deux nouveaux symboles. Les yeux de Ren se plissèrent, trahissant, pour une fois, une émotion. Fatigue, frustration... Il avait l'impression que son rival essayait de communiquer, qu'il lançait un appel à l'aide, et lui ne faisait rien, ne savait pas quoi faire.
Une goutte d'eau, perlée au bout de l'une des mèches qui battait ses tempes, tomba alors sur le parchemin sur lequel le jeune homme venait de dessiner, brouillant les traits du deuxième symbole. Ren cligna des yeux, récupérant une expression neutre et se redressa, passant les mains dans les poches de son jogging.

- Tu devrais te reposer.

Et ce fut tout ce qu'il parvint à dire. Il regagna sa partie de la pièce, attrapant sur son bureau une fléchette qu'il balança avec un agacement contrôlé en plein cœur de la cible. Finalement, il ne devrait peut-être pas sécher les cours de communication, il n'était pas très doué pour ça.

Masato continuait d'observer, circonspect, les deux signes qu'il venait de tracer. Il ne voyait rien, pas une imperfection. Pourtant il devait forcement y avoir un problème. Il était fatigué, abîmé, cela devait bien transparaître dans son dessin... Les sourcils froncés, une petite moue déconfite glissa sur ses lèvres. C'est alors que cette erreur qu'il cherchait tant apparue sur sa feuille, sous la forme d'une petite goutte d'eau. Écarquillant ses yeux bleus il comprit finalement d'où venait le problème. Basculant sa tête en arrière il observa son colocataire partir après un conseil étonnant. Refermant les yeux un instant, l'idole eut un soupir. Entendant le sifflement des fléchettes, Masato se tourna d'un quart, maintenant de profil par rapport à Jinguji. C'était moins impoli de cette façon.

Tu t'inquiètes pour moi ?

Une question ironique, il n'y croyait pas, voulait simplement réitérer la question que lui avait déjà posé Ren, un an plus tôt, alors que tout deux étaient encore à l'académie. Cependant, le pianiste ne laissa pas à son ami d'enfance la possibilité de répondre, reprenant bien vite, de sa voix neutre.

Ce n'est pas la peine. Je sais parfaitement gérer mon emploi du temps. Je dois juste être un peu plus efficace et optimiser mon travail de manière à moins me fatiguer.

Sur de lui, il se leva, non sans peine. Ramassant sa petite table de bois et ses feuilles de papier qu'il rangea tranquillement. Il prit ensuite un livre posé sur sa commode, un pavé dont le titre indiquait « Les 500 choses à savoir pour devenir une idole confirmée ». S'allongeant au-dessus de sa couverture, replaçant son petit coussin bleu, il s'installa pour lire. Tendant le bras derrière lui il alluma un lampion beige avant de se concentrer dans sa lecture. Ignorant tant bien que mal le bruit sifflant des flèches qui atteignaient leur cible.

Masato lui jeta un regard de biais que le blond ne croisa pas, regardant fixement la fléchette qu'il venait de lancer et qui s'était fichée un peu au-dessus du centre.

- Tu t'inquiètes pour moi ?

L'ironie de la question fit sourire le Jinguji mais il claqua simplement sa langue contre son palais de façon presque inaudible. Peut-être devait-il lui aussi le frapper pour qu'il reprenne ses esprits.
Finalement, son colocataire possédait également une certaine forme d'arrogance dans cette façon de se protéger de l'aide des autres, impression confirmée par les mots qu'il enchaîna. Le garçon aux cheveux bleus s'empara alors d'un énorme bouquin, estimant visiblement que ses paroles n'attendaient pas de réponse, et s'installa pour commencer sa lecture. Oui, décidément, ils avaient un vrai problème de communication. Un dialogue par monosyllabes aurait été plus éclairant.
Ren émit un son à la frontière du soupir et du rire jaune et attrapa trois fléchettes qu'il lança tour à tour avec des gestes vifs. Tchak, tchak, tch... La dernière rebondit sur l'une de ses congénères et retomba au sol avec un bruit mat. Ses poings se refermèrent, légèrement crispés, tandis qu'il fermait les yeux. Il faisait souvent ça, fermer les yeux, même en public. Ça l'aidait à faire le point, ou, selon les circonstances, à marquer sa supériorité. Lui-même ne comprenait pas pourquoi il se mettait dans des états pareils. Il ne rencontrait d'ordinaire jamais ce problème, les mots sortaient naturellement de sa bouche, pour séduire, pour amuser, pour provoquer. Conseiller, réconforter quelqu'un était déjà un problème en soi, mais quand il s'agissait de Masato... Il ne pouvait plus lui parler aussi librement que lorsqu'ils étaient enfants. "Si ton père est si dur, pourquoi tu lui obéis ?", "Tu veux faire de la musique ? Alors fais-en, c'est tout." ... Le Hirijikawa avait toujours été borné, à la limite du masochisme, c'en était désespérant. Et pour un sérieux aussi extrémiste, ses conseils devaient avoir, à ses yeux, bien peu de crédibilité. Ren laissa ses mains se détendre et s'avança, se penchant pour ramasser la fléchette qu'il tourna habilement entre ses doigts. Tout ça était ridicule.

« Les 500 choses à savoir pour devenir une idole confirmée » était un livre important, conseillé par l'académie Shinning et écrit par deux idoles affirmées. Il regroupait une multitude de conseils, de règles et de lois à savoir, respecter. Tout ça pour améliorer ses capacités et avoir un public de fans complet et fidèle. Masato avait quelques problèmes avec cette partie du contrat, il adorait chanter, danser, jouer de la musique. Tout cela faisait ses plaisirs les plus délicieux. Performer devant un public ne le gênait pas, mais contrairement à son colocataire, il avait du mal à se faire aux cris hystériques de jeunes demoiselles -ou demoiseaux- en délire. Il devait bien souvent ravaler son tempérament calme et distant pour laisser place à de rares sourires. Pour l'image. Sans être timide il avait tout simplement du mal avec cet univers si particulier.

Un bruit mat, le son d'une fléchette qui n'avait pas atteint sa cible, alla chatouiller ses oreilles, le sortant de sa lecture. Masato n'eut pas besoin de regarder derrière lui pour connaître l'attitude de Jinguji. Ils avaient beau dire, on avait beau les qualifier de rivaux, les mettre toujours face à face, ils se connaissaient bien. Enfants, leur amitié semblait sans faille. Aujourd'hui ils prenaient soin de l'autre, maladroitement. Le pianiste ne pouvait s’empêcher d'agir envers lui froidement, voir avec violence. Dans son cœur, il ne lui avait toujours pas pardonné cet affront fait à la musique, ce dédain avec lequel il traitait un art que lui adorait. Et pourtant … d'un autre côté .. il connaissait le talent génial du blond, ainsi que sa voix mielleuse, dorée. Il avait devant lui une grande carrière et Hijirikawa n'accepterait jamais qu'il l'a gâche.

Ses réflexions lui avaient apparemment coupées le goût de lire puisque essayant de reprendre la ligne qu'il avait commencé, il se perdait à nouveau dans ses pensées. Apparemment son colocataire, bien que silencieux, ne le laisserait pas travailler tranquillement. Refermant son livre il croisa des bras en regardant le plafond, tout droit dans son lit. Le regard sérieux et l'air ferme, il réfléchissait. Comment améliorer son emploi du temps, voilà de quoi l'occuper.

Ren fit décoller d'un geste du pouce sa fléchette qui tournoya un instant dans le vide avant qu'il la rattrape au vol. Il arracha les autres une à une de la cible et les reposa sur un coin de son bureau avant de jeter un nouveau coup d'oeil sur son colocataire qui semblait avoir arrêté sa lecture. Et en effet, il le reposa bientôt, croisant les bras, toujours dans le silence le plus total. Le Jinguji lâcha un léger soupir avant de se laisser tomber souplement sur son canapé, les bras passés au-dessus de l'appui-tête. Il avait besoin de faire quelque chose, de s'occuper l'esprit avant de devenir fou.
Il se pencha pour attraper une petite télécommande qui trônait sur la table basse qui lui faisait face et alluma sa télévision, tombant directement sur la chaîne spécialisée, et évidemment payante, en musique. A cette heure tardive, ils ne passaient plus de live ou d'interview, en revanche ils diffusaient un documentaire sur le métier d'idole. Il vit du coin de l’œil son colocataire se retourner pour lui lancer un regard sombre qui voulait tout dire.

- Quoi ? se défendit-il avec un sourire en coin. Ça parle de notre boulot, c'est du travail personnel.

Il se décala légèrement sur la droite du canapé, tapotant de sa grande main la place à côté de lui avec un regard joueur.

- Arrête de bouder et viens donc bosser avec moi.

Sans se départir de son sourire amusé, il reporta son attention sur l'écran, prenant bien soin de ne pas mettre le volume assez fort pour que le Hijirikawa puisse entendre distinctement de là où il était. Pendant ce temps, un chanteur connu apparaissait devant la caméra pour parler de son parcours et des qualités nécessaires à la réussite musicale. Ren hocha la tête, esquissant une moue appréciative. Certes, le goût de la musique était préférable pour faire ce métier, mais le blond voulait surtout donner envie au jeune taciturne de le rejoindre. Il s'étira souplement avant de reposer paresseusement son bras gauche sur le dossier du canapé.

Réflexion, réflexion … Comment fallait-il qu'il organise sa journée pour la rendre plus efficace et moins contraignante ? Peut-être qu'en couplant deux activités dans un même temps ? Ou en réduisant de moitié son temps de douche … Mais ce petit plaisir était un des derniers qui lui restait. Comment pourrait-il survivre sans ses vingt minutes quotidiennes d'eau chaude ? Alors qu'un nouveau soupir allait franchir ses lèvres, un son pour le moins agressif vint le faire sursauter. Est-ce que .. ? Est-ce que son colocataire, ami et pourtant homme qui semblait vouloir sa mort, venait d'allumer la télévision ? Se redressant sur ses avant-bras, assez pour se retourner, l'héritier Hijirikawa lui décocha un regard noir. Encore. Décidément, cette soirée était agitée. Masato, toujours choqué par l'impudence de son colocataire retint avec peine un grognement indigné au sourire du grand blond. Se recouchant, une moue sur les lèvres il croisait les bras, de nouveau.

Travailler, travailler … regarder la télévision n'était pas ce que le pianiste appelait travailler. Le visage neutre, une fois de plus, il s'était remis à observer le plafond, intéressant en l'instant mais qui semblait tout de même bien moins passionnant que l'idole dont la voix électronique envahissait la chambre. Masato eut l'envie de demander à son colocataire de baisser le son mais le discours qu'il entendait l’intéressait. Il essaya, plusieurs fois, de se concentrer de nouveau sur son problème, en vain. La fatigue et le haut volume du téléviseur n'aidant pas, il ne parvint jamais à trouver une solution. Peu amène cependant à se déclarer vaincu, il resta sans bouger une bonne dizaine de minute. N'y tenant plus en entendant la présentation d'un pianiste qu'il admirait, il se redressa d'un seul mouvement. Assit à présent, il reprit son calme et se releva tranquillement, allant s’asseoir avec dignité à côté de son colocataire, à l'autre bout du canapé.

Cette chaîne bien qu'un peu tape à l’œil transmettait parfois, le soir, des émissions très intéressantes. Dans ces rares moments seulement, Hijirikawa s'autorisait à des moments de « détente ». Il préférait cela-dit regarder la télévision dans la salle de détente, commune plutôt que sur ce canapé un peu froid où bien des filles avaient du passées. Evidemment pas en sa présence, mais il se doutait que le Jinguji avait bien des opportunités lorsqu'il séchait les cours. Fixant l'écran avec attention, il sentait sa fatigue revenir peu à peu. Attrapant la télécommande, il baissa le son, sans demander une autorisation, bien évidemment.

Ren fit la moue en constatant que son interlocuteur s'était rallongé et ne réagissait pas à ses invitations, encore moins à ses gestes. Le Hijirikawa mit en fait facilement une bonne dizaine de minutes avant d'obtempérer et de se lever, alors que le blond était en train de se demander s'il avait le courage d'aller chercher un t-shirt.
Masato s'installa, légèrement crispé, aussi loin de lui qu'il le put, quasiment assis sur l’accoudoir. Ren se doutait tout à fait que la présence de son bras, qui, allongé, atteignait presque sa nuque, et son absence de haut gênaient terriblement le jeune homme, mais il ne fit rien pour cela, s'amusant au contraire de cet adorable embarras. Il aimait provoquer les gens, certes, mais quand il s'agissait de Masato, c'était encore plus drôle. Il ne savait pas vraiment pourquoi. En vieillissant, ses taquineries avaient pris une autre tournure, mais d'aussi loin qu'il se souvienne, il avait toujours agis ainsi avec lui. Cependant, contrairement à lui et malgré sa majorité passée, le pianiste était très réservé et le moindre contact semblait le mettre dans tous ses états, chose que le Jinguji se plaisait à vérifier en tout occasion. Il se rappelait d'ailleurs le bazar que ça avait été quand le pauvre garçon avait joué dans une pièce de théâtre où son rôle impliquait de prendre une fille dans ses bras. Toute une mobilisation pour un simple câlin, ça avait vraiment été comique.

Masato se redressa pour attraper la télécommande et baisser le son avant de se replacer dans sa position initiale, le dos bien droit, les genoux serrés l'un contre l'autre et les mains posées sur ceux-ci.
Ren bailla, prenant davantage ses aises sur le canapé, nonchalant sans être vulgaire, c'était toute la technique de son attitude. Dans la manœuvre, sa main se ferma avant de se détendre à nouveau, le bout de ses doigts effleurant au passage la peau diaphane de son camarade alors qu'il fixait négligemment l'écran de télévision, peu intéressé par ce que ce pianiste suffisant avait à dire. Son petit jeu aurait sans doute au moins le mérite de réveiller le garçon qui recommençait déjà à somnoler.

Reposant délicatement la télécommande sur la table basse, Masato reprit sa position précédente, droit comme un piquet. Certes, il n'était pas parfaitement à l'aise, cependant il n'était pas non plus stressé, ou même vraiment gêné. Il avait appris à se débarrasser de ces sensations en côtoyant, depuis longtemps, le jeune blond. En tout cas, dans les situations ordinaires, il n'avait plus aucun mal à rester de marbre face à ses sourires enjôleurs et ses yeux provocateurs. Mais il fallait bien avouer que quelquefois, le pianiste tombait dans ce jeu de rivalité, la tête la première. La plupart du temps, cela-dit, ils se toléraient sans problème, s'amusant même de rares instants, s'entendant, de façon plus courante, sur des sujets communs. Ils étaient malgré tout bien différents, preuve en est que Masato, fatigué par une lourde journée que n'avait pas vécu son colocataire, commençait à s'assoupir sur le canapé.

Et puis ... Ce n'était rien, juste un effleurement, un léger doigt sur une toute petite parcelle de peau. Et pourtant la réaction du pianiste fut aussi instantanée qu'intense. Bondissant du canapé et reculant dans un même temps, il réussit l'exploit de tomber sur le sol avec un bruit sourd. Pestant contre sa maladresse et le comportement de son ami, les joues légèrement plus roses d'embarras, il se releva. Après avoir jeté un regard réprobateur à Ren, il épousseta son pantalon et se rassit sur le canapé, plus près du blond pour éviter une nouvelle chute. Cependant, le bras bien trop insistant de celui-ci sur le dossier eut tôt fait d'agacer le pianiste. Se tournant d'un quart il attrapa du bout des doigts l'avant-bras de Jinguji et le ramena près de son torse, évidemment encore nu.

Ne soit pas indécent s'il te plait, je ne suis pas une jeune fille languissante. Tiens-toi bien pour une fois.

Satisfait, et plus détendu cette fois, le pianiste pu s'installer confortablement sur le canapé. Droit toujours, mais au moins adossé au tissu. Avec un amusement coupable, le jeune idole se dit dans un coin de son esprit, que plus d'une de ces jeunes filles languissantes qu'il avait évoqué, auraient été ravies de se retrouver dans une telle position. D'après certains, ou plutôt certaines, Masato était surement, en l'instant, l'homme le plus chanceux du Monde. Cette hypothèse plus qu'invraisemblable lui arracha un léger éclat de rire qu'il cacha bientôt sous son air calme et un regard attentif dirigé sur le poste de télé.

Certes, son geste n'était pas totalement innocent ni dénué de mauvaises intentions, mais la réaction de Masato le fit réellement sursauter. Celui-ci bondit tel un poisson paniqué et réussit à s'emmêler les jambes avant de retomber sur les fesses sur le plancher de sa partie de la chambre, les joues roses. Ren cligna des yeux, un instant perplexe, puis il se mordit la lèvre, comme pour se contenir, et enfin explosa d'un rire joyeux. Ce genre de rire qui vous prend aux tripes d'un coup et qui semble ne plus jamais vouloir vous lâcher. De son bras droit, il se tenait les côtes sans s'arrêter, son rire emplissant toute la pièce.
Il finit par se calmer alors que son vis-à-vis lui jetait un regard mauvais et essuya les larmes qui perlaient à ses yeux cyans. Il le laissa docilement ôter son bras du dossier, le tenant du bout des doigts comme un serpent venimeux, puis le jeune homme se replaça, dans une position cette fois plus détendue.

- Ne soit pas indécent s'il te plait, je ne suis pas une jeune fille languissante. Tiens-toi bien pour une fois.

Le Jinguji esquissa une moue à la fois penaude et rieuse. Il n'y avait que lui pour avoir ce genre de réactions. Et puis les jeunes filles qu'il séduisait ne se languissaient que lorsqu'il avait commencé à les charmer. Néanmoins, Ren obtempéra sans rechigner, se redressant un peu plus décemment. Il sentit le pianiste se tendre alors qu'il levait à nouveau les bras, mais il se contenta de les croiser derrière sa nuque avec un soupir d'aise.
La télévision s'attaquait à présent au parcours de l'idole, dont le blond se fichait cordialement. Son regard se fit dédaigneux, il commençait à s'ennuyer, et quand il s'ennuyait il avait tendance à faire des bêtises... Il jeta un regard en biais à son colocataire, qui, lui, paraissait plus intéressé par l'écran. Il reporta à nouveau son attention sur celui-ci avant de se faire rabrouer. C'est qu'il allait finir par l'effaroucher. En fait, avec toutes les taquineries, qu'elles soient gestuelles ou autres, qu'il avait faites, il était étonnant que Masato n'ait toujours pas demandé le changement de chambre. Ren bailla à nouveau, plus discrètement cette fois, et posa nonchalamment un pied sur la table basse face à eux. Il pourrait presque faire la sieste ici, il y avait quelque chose d'agréable à ne pas être seul dans ce genre de situation finalement.

Masato continuait de regarder l'écran, suivant avec intérêt l'émission. L'idole dont il était question n'était que peu populaire, il fallait avouer que cet homme n'avait pas un physique merveilleux et ne maniait pas son sourire aussi bien que le Jinguji. Cependant, pour Hijirikawa, cette faiblesse dans son parcours d'idole n'était que peu importante par rapport à sa maîtrise du piano et la grande émotion qu'il donnait à travers son chant. Malgré cette attention toute particulière pour la carrière de cet homme, Masato tombait peu à peu dans une somnolence tranquille. Plus les minutes passaient, plus sa concentration faiblissait. Les bras de Morphée l’accueillaient avec un trop grand plaisir pour qu'il arrive à résister. Il se redressa un instant, sans réel succès. Papillonnant des paupières il essayait tant bien que mal de suivre les silhouettes qui se dessinaient sur le poste de télévision.

Il était si … fatigué. Il faisait bon dans la pièce, chaud, confortable. Ses yeux clos firent basculer sa tête en avant, le réveillant d'un seul coup. Sursautant légèrement, il se recula, se calant bien contre le dossier, droit, pour ne pas recommencer. Encore une fois, peu à peu, les lignes se confondaient sous ses yeux bleus. Ses paupières tombaient et le sommeil le pris d'un coup, son corps s'affaissant il tomba peu à peu sur sa droite, sa tête reposant de peu sur l'épaule de Ren.

Ren était parti dans ses pensées, son regard toujours dirigé vers l'écran mais qu'il observait sans le voir. Ses doigts pianotaient un rythme imaginaire sur sa nuque que suivait son pied, posé sur la table basse. Il essayait de bien se tenir, comme l'avait dit Masato, pour ne pas froisser définitivement ce-dernier, mais l'ennui le gagnait et la tentation de remuer et d'embêter son voisin le titillait de plus en plus. Il en était à faire des grimaces avec ses joues, les bras croisés, quand un mouvement brusque attira son attention sur la gauche. La scène le laissa presque attendri.
Le Hijirikawa piquait du nez. Ses paupières se soulevaient faiblement à intervalles réguliers sans jamais s'ouvrir vraiment, et sa nuque le lâchait de plus en plus, entraînant sa tête vers l'avant. Avec un sursaut, il se replaça alors contre le dossier du canapé, les yeux écarquillés et brumeux à la fois. Il ne remarqua même pas que le blond l'observait, perplexe, et ressombra sans prévenir dans le sommeil.
Ren vit s'amorcer le mouvement de sa tête au ralenti, glisser inexorablement contre le cuir du canapé, avant d'atteindre son épaule, juste assez appuyé dessus pour la retenir. Son corps entier sembla se tendre au contact. Le Jinguji déglutit, absolument immobile, son envie de gigoter ayant complètement disparu. Son malaise le surprit lui-même. Comme le jeune homme repoussait toutes ses provocations, ils n'avaient jamais été physiquement proches, et cette sensation, inédite, lui donnait le sentiment d'être.. un petit garçon. Ren secoua la tête. Quelle idée... Il n'arrivait même plus à réfléchir correctement, son corps et son esprit étaient entièrement focalisés sur ce maigre contact. Et les cheveux sombres de son colocataire qui lui chatouillaient le bras ne l'aidaient pas non plus.
Les deux hommes restèrent dans cette position une bonne demi-heure en tout, avant que le Jinguji ne se décide à réagir. Masato allait finir par avoir un véritable torticolis s'il dormait dans cette position. Se tournant doucement, avec une douceur qu'il ne se connaissait pas, Ren appuya la tête du jeune homme sur le dossier du canapé tandis que, de l'autre main, il attrapait la télécommande pour éteindre la télévision, plongeant la pièce dans l'obscurité et le silence. Il poussa un profond soupir en se levant, puis passa un premier bras dans le dos de son vis-à-vis, le second sous ses jambes avant de le soulever délicatement. La tête du pianiste bascula aussitôt dans l'autre sens, s'appuyant contre son torse, qu'il aurait définitivement mieux fait d'habiller. Le Jinguji marcha doucement jusqu'au lit de son colocataire, dont il releva la couette à l'aide de son pied, puis il déposa son fardeau dans son lit, manquant au passage de se rompre le dos tant ledit lit était bas. Saletés de meubles traditionnels... Ren replaça la couverture sur le Hijirikawa endormi, l'observant pensivement dormir avant de regagner son propre lit. Il ne ferma pas l’œil cette nuit-là, et partit tôt le lendemain, avant même le réveil de son colocataire.