Des flocons tourbillonnaient, s'amusant dans le ciel hivernal. Ils voguaient entre les nuages, à travers le brouillard, comme à la recherche de leur âme sœur perdue. A la recherche d'une moitié, d'un autre flocon qui serait le remède de tous leurs maux. Comme des humains, sentimentaux, fébriles, hésitants, ils flottaient. A droite puis à gauche, rester à gaucher puis retourner à droite. Et tout cela dans une immense chute, une chute douce, presque tendre alors que la neige se posait sur le sol avec la légèreté d'une plume. Et femmes et hommes, dans la grande ville, semblaient suivre le même parcours, le même trajet saccadé, sans queue ni tête. Et au milieu de cette foule, un jeune homme dont les cheveux d'un bleu cendré ne détonnait pas dans toute cette grisaille.

Tranquille et discret, le nez enfoui dans une large écharpe de laine souris, il avançait à pas mesurés. Se tenant toujours droit il portait une très grande attention, comme à son habitude, à ce qu'il se passait autour de lui. Une jeune femme, protégeant son récent brushing de son sac à main. Un enfant qui joue dans la poudreuse, ombrant son pantalon de multiples taches. Un vieillard dont les pas se font des plus mesurés, ne voulant pas glisser. Toute ces effusions de sentiments, de réactions diverses et variées semblaient passer sur le visage lisse du jeune homme, sans l'affecter. Pourtant bien conscient de toutes ces situations, il était prit dans le tourbillon de ses pensées. Concentré, il tournait et retournait dans son esprit les lignes qu'il avait, avec application, apprise ces deux dernières semaines.

Ce trop plein de sérieux n'était pas anodin. L'agence dont il dépendait avait jugé bon de l'inscrire à un casting qui devait se dérouler au Tokyo Metropolitan Art Space, dans moins d'un quart d'heure, en jugé par ce qu'indiquait sa montre. Cette audition permettrait à l'heureux élu d'accéder au rôle principal dans une pièce qui venait tout juste d'être montée. L’intrigue de cette composition était centrée sur le devoir d'un jeune homme, abandonnant rêves et passions pour revêtir l'uniforme de guerre. Ce n'était pas un sujet auquel Masato était très habitué, bien que sa culture générale et sa connaissance de l'histoire lui procuraient beaucoup d'informations sur les événements de l'époque, il n'avait eut guère l'occasion de se frotter à ce genre de projet durant son apprentissage. L'idole était cependant tout aussi impatiente que curieuse et l'idée de jouer un tel rôle lui plaisait en secret.

Egal à lui-même, il arriva, discret et doux devant le gigantesque bâtiment, monstre de fer dont les mâchoires acérées semblaient toutes prêtes à le dévorer. Le stress était naturel, évident, cependant Masato n'avait jamais réussi à l'outrepasser, à l'oublier. Une petite boule au ventre il passa les portes. La chaleur qui caressa son visage lui arracha un bout de sourire, caché derrière son écharpe. Il ne lui fallut que peu de temps pour repérer les affichettes qui lui indiquaient le chemin et bientôt, il se trouvait dans un couloir qu'il trouva exiguë, à patienter en compagnie de nombreux autres jeunes hommes. Adossé contre un mur, il ne sortit pas son texte, le récitant simplement derrière ses paupières closes.

Un des participants fut appelé. Il l'observa un instant puis posa son regard sur le mur d'en face. Observer toutes ces petites âmes, rassemblées en ce lieu pour un même objectif, il se l'interdisait. Rien ne servait de se comparer aux autres, cela ne pouvait mener qu'à un afflux supplémentaire de stress, ou à un attachement idiot, qui le rendrait désolé pour tout ceux qui n'auraient pas été pris. Alors qu'il reprenait, une fois encore, ses lignes, quelqu'un s'approcha. Il ne fit pas attention jusqu'à ce qu'une voix claire ne retentisse. Relevant rapidement la tête, les pupilles bleus de Masato rencontrèrent celles, émeraudes, d'un jeune homme aux traits fins. Ses cils battant de surprise, il se redressa un instant et bien vite tout air décontenancé s'enfuie de son visage, laissant place à une expression neutre, tranquille. La personne qu'il avait en face de lui ne lui était pas inconnue, il l'avait déjà vu à l'agence, il en était certain et les paroles de son interlocuteur ne firent que confirmer cette certitude.

Bonjour. Je ne pensais pas non plus que ce serait le cas. Tu n'es pas trop inquiet ?

Le regard de Masato était toujours posé, délicat comme les flocons rejoignant la neige, sur le visage du jeune homme. Bien qu'il ne le connaissait pas personnellement, il s'intéressait réellement à son état d'esprit et espérait que tout irait bien pour lui. Une autre question lui brûlait les lèvre, il se contint un instant, avant de se permettre de prendre à nouveau la parole.

Tu sais quand cela sera ton tour ?

Masato, malgré son air distant était sincèrement heureux de rencontrer un camarade de l'académie, quand bien même il ne le connaissait que de vue. Quelque part cette simple présence l’apaisait, lui offrait une douce minute de réconfort avant que le stress ne revienne s'emparer de ses entrailles. Profitant alors de ce répit, il observait avec attention la personne qui le lui offrait. Il avait déjà remarqué, déjà rencontré ses deux grands yeux verts, sans voir au premier abord, les longs cils qui en traçaient les contours. Venaient ensuite les pommettes, saillantes mais douces ainsi que de fines lèvres légèrement rosées. Le pianiste observa le jeune homme aux traits fins secouer négativement la tête, faisant glisser une mèche trempée sur son front. Le geste qui l'en retira avait le charme d'un geste enfantin, comme un petit bonhomme qui essaye d'écarter sa frange trop longue de ses yeux. Si l'idole avait l'habitude de montrer se qu'il ressentait, surement aurait-il esquissé un léger sourire.

Non. Mais étant plutôt en fin d’alphabet, je pense que mon tour n’est pas prêt de venir. Au fait, je ne me suis pas présenté, et je ne suis pas des plus populaires à l’agence ! Tu dois ignorer mon nom. Je suis Kaori. Terashima Kaori. Ravi de faire ta connaissance.

Masato avait cet étrange avantage de ne jamais avoir à se présenter. Aux membres de l'Académie tout du moins. Ce que ses amis et lui avaient réussis à faire l'année dernière, grâce au talent indéniable de Nanami, n'était pas passé inaperçu. Ils avaient acquit une renommée plutôt importante au sein de l'école. Et si Ren en retirait un plaisir certain -comme si il avait besoin de plus-, l'héritier Hijirikawa ne ressentait pas la même chose. Il n'avait jamais aimé être le centre de l'attention et les murmures ne lui inspiraient rien de bon. Le fait que tout le monde sache qui il était, de ne plus pouvoir se présenter comme la politesse le voudrait … tout cela le mettait dans une position des plus inconfortables. Mal à l'aise, il n'en montrait cependant rien, tout en espérant que l'on ne pense pas de lui qu'il était un être égoïste et pédant. Heureusement, le garçon en face de lui, en plus d'être ce qu'il y a de plus sympathique et poli, semblait ne pas le voir comme une personne à éviter.

Alors que Terashima lui tendait la main et que Masato s'apprêtait à la serrer, le claquement d'une porte tout proche le fit sursauter. Son regard fixa avec autant de curiosité que d'embarras -sans jamais que cela ne se voit- celui qui passait devant eux. Il semblait évident que tout ne s'était pas passé comme il fallait pour celui-là. L'erreur était aisée dans ce genre d'exercice. Le stress y était pour beaucoup. Le jeune homme n'avait aucun doute sur le fait que toutes les personnes présentes dans ce couloir avaient étudié. Peut-être pas tous avec la même verve et la même application, cependant il était clair que tous avaient travaillé pour pouvoir jouer ce rôle. Lui-même ne dérogeait pas à la règle, bien au contraire. Il ne connaissait pas le sens du mot « détente » lorsqu'il lui fallait apprendre, réciter. Il avait une tendance maladive au perfectionnisme. Cependant cela n'était pas toujours suffisant, il fallait arriver à mettre dans chacun des rôles qu'il jouait, un sentiment, une impression, une sensibilité toute particulière au personnage. La voix claire de son interlocuteur interrompit le cours de ses pensées .

Quant à savoir si je suis inquiet… Je dirais plutôt que j’ai le sentiment de perdre mon temps. Je n’ai aucune chance d’être retenu. Et toi ? Tu es confiant ? 

Le dénommé Kaori semblait se cacher dans son écharpe après une telle révélation. Il avait décidément quelque chose d'adorable et sa franchise était agréable. Lui serrant la main et avec toujours le même calme dans la voix, il lui répondit, doux.

Il n'y a pas de raison, si tu as travaillé tu as toute tes chances. Il pris une courte pause. J'espère juste que ma performance plaira au jury, le rôle est intéressant. Il voulu rallonger cet instant de répit. N'est-ce pas ?

Toujours adossé au mur, il regardait les autres candidats. Il n'étaient qu'une douzaine, peut-être quinze. Hijirikawa se trouvait au milieu de la liste et espérait secrètement pouvoir continuer de divertir son esprit jusqu'à l'heure où son tour arriverait. Il fixait la porte un instant, s'attendant à voir sortir le deuxième candidat, qui venait tout juste d'entrer, bien vite.

Masato se prit à penser au rôle une fois de plus. Le personnage comme la pièce avaient quelque chose de très beau. Il fallait avouer que les histoires de sacrifices, de pleurs et de courage, de drames somme toute avaient toujours fait mouche. Il suffisait de voir les tragédies grecques pour comprendre ça. Le jeune homme avait toujours aimé ce genre de mise en scène, de situations. De grandes aventures, de grands tourments qui permettaient de se poser de grandes questions. Rien que de penser aux souffrances intérieures de tels personnages, pour lesquels il éprouvait une grande admiration, il se perdait dans miles et une réflexions. Heureusement pour lui, alors que son regard passait au flou, la voix de son interlocuteur retentit. Secouant légèrement sa tête pour se concentrer il finit par darder son regard bleu sur le jeune idole. Les paroles de celui-ci résonnèrent dans l'esprit d'Hijirikawa avec un écho familier. Une fois de plus, il aurait presque sourit. Sa voix se faisait un peu moins dure alors qu'il reprenait la parole.

Tu me rappelle quelqu'un... Et je trouve qu'il s'agit d'un désir honorable.

Un désir digne d'honneur, vouloir toucher les spectateurs, les atteindre à travers la musique, les paroles, le chant. Otoya avait les même désirs, Nanami aussi. Tous les deux se ressemblaient beaucoup … et le garçon en face de lui semblait être un savant mélange des deux. Se surprenant à penser ainsi, Masato se reprit. Il avait tellement l'habitude d'être en compagnie de ses amis qu'il les retrouvaient partout autour de lui. Il ne fallait pas penser ça, ce Terashima était sympathique, gentil et méritait qu'on l'apprécie pour lui, pas pour une vague ressemblance avec des êtres tout aussi adorables. Une porte qui se refermait attira son attention. Une autre personne pris la place de celle qui venait de sortir. Bientot, dans deux ou trois candidats, ce serait surement son tour. La petite boule se réveilla, secouant son ventre avant de se faire bâillonner par un regard vers Kaori.

Je suis sur que tu y arriveras. Et puis si ce n'est pas aujourd'hui, ce sera demain.

Observant le jeune homme, Masato se prit à espérer que ce soit Kaori qui ai le rôle. Il avait l'air d'y tenir, vraiment ... Les relations de compétitions n'étaient pas ce que préférait l'héritier Hirijikawa. Certes, il avait tendance à devenir violent avec les personnes qui le méritaient réellement, pouvait être vulgaire, froid, mais la plupart du temps il n'avait aucune raison de faire de la peine à ceux qu'il croisait aux auditions. Un garçon trop sûr de ses capacités lui donnait envie de se dépasser, un manipulateur ou simplement attiré par le profit, lui donnait envie de le battre à plat de couture et de passer par la suite devant lui, fier. Cependant, un garçon comme ce Terashima … il lui donnait plutôt envie de se faire tout petit. Ce genre de situation le mettait toujours mal à l'aise, bien qu'il n'en montrait rien. Quoiqu'il en soit, il devait faire de son mieux, il fallait décrocher des contrats pour l'avenir des Starish. Il s'en voudrait énormément d'handicaper ses camarades ainsi que la charmante Nanami.

Un autre candidat sortit de la salle, plus rapide que ses prédécesseurs et les joues en feu. Une légère moue se dessina sur les lèvres fines d'Hijirikawa, elle parti bien vite et son visage redevint aussi calme et neutre qu'à l'habitude. Son regard glissa de nouveau sur Kaori. Il réfléchit un instant et se dit qu'il avait le temps. Se décidant sans demander ni prévenir le jeune homme, il choisit qu'il resterait près de lui après son audition. Il était maintenant curieux de savoir comment le jeune homme se serait débrouillé.

HRP : J'espère que ça t'iras >W<

Il passa de longues minutes de silence. Seuls résonnaient sur le sol les cents pas d'un candidat stressé, dont les cernes et les yeux exorbités étaient le signe indicateur d'une nuit blanche à répéter. Pour une idole, la notion la plus important était la nuance, le degré. Il fallait toujours maîtriser soigneusement son équilibre pour arriver le meilleur résultat. Evidemment, travailler un rôle était une étape primordiale pour l'obtenir mais ne pas se surcharger, ne pas se bourrer le crâne de toutes les répliques, ne pas trop stresser … c'était tout aussi essentiel. Pour les trois derniers points, le but était surtout de se refréner, de prendre du recul et de savoir quand on va trop loin, d'un côté ou de l'autre. D'autres hommes entrèrent dans la salle quand enfin, ce fut au tour d'Hijirikawa d'être appelé. Se décollant du mur, il s'avança donc vers la porte qu'ils observaient tous depuis qu'ils étaient arrivés. Alors qu'il s'apprêtait à entrer il aperçut le signe de Terashima et son « bonne chance » parvint à ses oreilles. Lorsqu'il monta sur scène, un petit sourire flottait sur ses lèvres.

Devant lui, quatre personnes. Deux hommes en costards, l'air sérieux, et entre eux une femme habillée d'une robe rouge des plus élégantes. Derrière eux une petite brune au chignon décoiffé, un crayon et un bloc note en main, l'air concentré. Le jeune idole s'avança au devant de la scène et s'inclina.

Hijirikawa Masato, idole de la Shinning Agency. Merci de votre attention.

Se reculant de deux pas tranquilles, il prit une grande inspiration. Ses yeux, qui s'étaient clos d'eux-même, s'ouvrir à la première réplique de son personnage. Concentration mais naturel. Il n'était plus Masato, il était un jeune soldat. Le jeune soldat. Celui qui partait se sacrifier, avec très peu d'espoir de retour. Parti pour sauver des vies, sa famille. Plus les mots s'échappaient de ses lèvres, plus ils avaient l'air véritables, puissants. Cependant on pouvait toujours reprocher à Masato sa droiture, son aspect froid. Quoiqu'il en soit, il donna le meilleur de lui-même, s'inclina à nouveau et sortit tel qu'il était entré. Calme. A peine franchissait-il à nouveau les portes qu'un autre jeune homme les passa. Le regard bleuté vogua un instant sur ceux qui étaient toujours là, s'accrocha sur Kaori. Il s’avança vers lui, le gratifiant d'un petit hochement de tête.

Terashima-san. J'attendrais avec toi.

Se radossant à côté de son camarade, il se rendit compte, quelques secondes plus tard, que le jeune devait surement se poser des questions sur ce qui l'attendait là-bas. Observant le mur en face de lui, il reprit d'une voix douce, chuchotante.

Il y a deux hommes et deux femmes. Sérieux mais pas effrayants. Je suis sur que tout se passera bien.